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La tombe d'Emily, fraîchement refermée, devient un champ de bataille. Passé l'infalsifiable stupeur du chagrin, la famille lit les poèmes, la plume à la main. Le poème « J'avais une sœur à la maison et une autre de l'autre côté de la haie », dédié à Susan, est hachuré par Vinnie, et la dédicace effacée. Un autre évoquant la poitrine de Susan sur laquelle Emily rêve de pleurer est attribué à la femme insoupçonnable d'un pasteur. Mais la voix d'Emily, invincible d'être pure, sort son amie des enfers : dans l'allée de gravier bordée de roses trémières entre les deux maisons Dickinson, traversant les censures et la mort, apparaît une Susan transfigurée, frottant ses mains l'une contre l'autre pour en faire partir une tache de vin visible d'elle seule.
« Devrais-je errer dans ma nuit interminable, je murmurerais encore : Sue. » Un chant s'élève, que les poèmes tamisent. Il cherche à dire le plus pur et le plus réel. Les livres maintiennent le chant vivant après la mort de la chanteuse, mais la poésie ne se dépose pas seulement dans les livres. Parfois elle passe sans faire de bruit, comme l'ange du quotidien que nul ne voit. Le pain d'épice aux enfants et les oreillers remis sous la tête divagante de la mère étaient plus purs et plus réels que tout.